Le concept de la subvention a été introduit pour assurer une vie digne aux citoyens les plus démunis. Ainsi, l’Etat engage des dépenses pour protéger la population la plus défavorisée des fluctuations des prix et diminuer, de la sorte, les inégalités entre les classes sociales. Mais, paradoxalement, cette politique assure aujourd’hui un rôle complètement inverse. Le système de subvention mis en place aujourd’hui favorise plus ceux qui consomment le plus. Ainsi, ce sont les plus riches, les industries, les hôtels…etc. qui profitent le plus du système.
La répartition des bénéficiaires de la subvention énergétique par niveau de vie confirme ce résultat. Ainsi, les ménages aux revenus les plus bas bénéficient de 13 % des subventions alors que les ménages aux revenus les plus élevés en bénéficient de 29%.
Quelle réforme pour la Tunisie ?
Face à la fluctuation des cours internationaux du pétrole, l’Etat tunisien a mis en place en juillet 2016 un mécanisme d’ajustement automatique tous les 3 mois des prix nationaux aux prix internationaux des produits énergétiques, et ce, dans le but d’alléger la subvention et de faire en sorte que les prix pratiqués à la pompe reflètent davantage les fluctuations des prix internationaux.
Toutefois, la formule d’ajustement automatique adoptée reste assez floue. Ainsi, plusieurs questions peuvent être posées : allons-nous vers la levée totale des subventions énergétiques ? L’Etat a-t-il mis en place les moyens nécessaires pour protéger les ménages les plus vulnérables ?
Cela dit, un simple exercice d’une simulation d’une levée totale des subventions énergétiques peut nous donner des pistes sur la politique adéquate à adopter pour le cas tunisien.
Impact social d’une levée immédiate des subventions énergétiques
Les données de l’enquête consommation de 2016 élaborée par l’Institut national de la statistique qui a porté sur un échantillon théorique de 13392 ménages représentatifs de la population tunisienne, ont montré que le taux de pauvreté en Tunisie est de l’ordre de 15,5%. A ce titre, un ménage est défini comme pauvre si sa consommation est en dessous du seuil de la pauvreté (fixé à 1277 dinars par an et par individu dans les grandes villes, contre 820 dinars par an et par individu dans le milieu non communal).
L’étude de l’impact social de l’élimination pure et simple des subventions énergétiques sur le niveau de vie des ménages revient à mesurer le nouveau taux de pauvreté si cette politique de subvention énergétique disparaît.
Cette hypothèse de l’élimination totale de la subvention énergétique se traduirait par une augmentation du taux de pauvreté de 15,5% (avec subvention) à 19,1% (sans subvention). De ce fait, la pauvreté au niveau national connaîtrait une augmentation significative d’environ 3,6%. Le nombre de ménages pauvres s’accroitrait ainsi de 95234 nouveaux ménages pauvres à l’échelle nationale.
La seule politique d’élimination de la subvention énergétique possible est une politique gradualiste accompagnée d’une réduction ou d’une utilisation plus efficace de la consommation d’électricité.
Réduire la consommation d’électricité
Les subventions énergétiques ont atteint 2,1% du PIB en 2015, aggravant ainsi le déficit public, qui est de l’ordre de 4,8% pour la même année.
La répartition par produit montre que 51% des subventions énergétiques sont allouées à l’électricité.
Ce taux n’illustre clairement qu’une action nationale concertée et fait encore défaut dans le domaine de l’efficacité énergétique. En effet, le développement d’énergies renouvelables en Tunisie prend du temps. Aujourd’hui il est impératif de commencer à mettre en place une politique d’efficacité énergétique en développant à grande échelle l’énergie renouvelable et en éliminant les gaspillages.
Quelles recommandations?
Au niveau international, plusieurs études ont montré que les subventions représentent un lourd fardeau pour les finances publiques, et ce, surtout pour les pays en voie de développement. De ce fait, les gouvernements de plusieurs pays n’ont cessé de faire des tentatives de réforme des aides depuis plusieurs années. Cependant, un certain nombre de ces tentatives de réformes s’est heurté à une résistance du public, qui a parfois conduit à leur annulation.
A ce niveau, deux méthodes ont été adoptées, soit une politique qualifiée de thérapie de choc, caractérisée par un passage rapide et sans étapes intermédiaires à la vérité des prix, soit une politique plus gradualiste qui consiste à procéder par étapes.
Dans le cas tunisien, la politique gradualiste semble la plus adaptée. Cependant deux points très importants doivent être pris en considération avant la mise en place de cette politique. Tout d’abord, il faut tenir compte de l’environnement international qui est caractérisé par une fluctuation des prix du pétrole et des matières premières.
En effet, cette politique de réforme ne pourra réussir qu’en choisissant bien le moment de son application. Ensuite, il faut s’assurer que l’élimination des subventions se fasse sans porter atteinte au niveau de vie des plus défavorisés.
En s’inspirant des expériences d’autres pays dans la stratégie de réforme, l’idée serait de remplacer le système des subventions généralisées, et en particulier celui du secteur de l’énergie, par un système de protection sociale mieux ciblé pour protéger les populations les plus démunies. Cela se ferait progressivement dans le temps mais permettrait de dégager des ressources budgétaires pouvant servir à augmenter les investissements publics pour soutenir la croissance et la création de l’emploi.